Critiques de films

Affiche du film Augustine
© ARP sélection
Augustine
un film de Alice Winocour

Premier long métrage très prometteur pour la jeune femme qui s’était jusqu’alors distinguée par des courts métrages (Kitchen et Magic Paris) et par sa collaboration aux scénarii de Home d’Ursula Meier et d’Ordinary People de Vladimir Perisic. Le film bénéficie d’une distribution à la hauteur de l’ambition du sujet avec Vincent Lindon, Chiara Mastroianni et Soko qui confirme la puissance de son jeu déjà exploré par Virginie Despentes, dans Bye Bye Blondie.

Nous sommes en 1873, à Paris, dans une soirée bourgeoise où un dîner est servi. Dans les cuisines, les servantes s’agitent ; des jeunes filles absolument transparentes aux yeux des convives auxquels elles servent le repas. Augustine est parmi elles et finira par tomber, entraînant avec elle nappe et couverts, agitée de spasmes, les mains se tordant en des crispations impressionnantes. Augustine sera ensuite internée à la Pitié Salpêtrière et deviendra la patiente préférée du professeur Charcot, éminent clinicien et neurologue qui marquera la psychanalyse. On comprend que le sujet ait pu séduire Alice Winocour, ayant découvert au cours de ses recherches un monde de femmes toutes issues de classes moyennes et la plupart analphabètes et dont le corps exprimait de cette façon spectaculaire leur souffrance, dans une société où le corps était nié, corseté et lacé.

Pour Augustine qui attend avec d’autres femmes d’être examinée par le professeur Charcot, lors de la première rencontre, il s’agit d’être remarquée car Charcot ne s’intéresse qu’aux cas extrêmes. Sa crise en sa présence sera remarquable. Augustine devient un cobaye, le sujet privilégié à exhiber ensuite devant le cercle des autres médecins réunis pour examiner ce cas d’hystérie qui s’exprime à la demande, en état d’hypnose. Charcot ne peut plus se passer d’elle et elle ne vit plus sans lui, se laissant mourir de faim lorsqu’il s’absente quelques jours. Comme l’a écrit Lacan : « L’hystérique est une esclave qui cherche un maître sur qui régner. »

Il existe de nombreux clichés d’Augustine, le corps arc-bouté par ses crises d’hystérie à cette époque où naissait la photographie. Puis la jeune femme disparut en 1885. Dans un rapport médical la concernant, on peut lire : « Hier soir, Augustine s’est enfuie de la Salpêtrière déguisée en homme. » Personne n’a jamais su ce qu’elle était devenue. Alice Winocour s’est intéressée à ces dix ans passés à l’hôpital où Augustine était chouchoutée par l’équipe de Charcot, devenue une star, faisant l’objet d’articles dans la presse. Sa gestuelle intrigue car elle dépasse celle des plus grandes tragédiennes. Mais, surtout, son corps libéré de toutes contraintes, pendant les crises, est particulièrement sensuel. Le pouvoir érotique d’Augustine est au cœur de la relation trouble qui va l’unir à Charcot, dans une dimension sado-maso. Cette femme, à moitié nue, livrée au regard du médecin en costume trois pièces était l’objet d’expériences souvent très violentes. On ne s’étonnera pas qu’Alice Winocour apprécie tout particulièrement les films de Cronenberg et notamment Faux semblants. Mais le cinéma fantastique de David Lynch est également une référence et l’atmosphère évoquée dans les romans des sœurs Brontë où se conjuguent folie, sensualité et amour impossible. Vincent Lindon, tout en retenue, est parfait une fois de plus, face à Soko qui a eu la belle intuition de s’imposer auprès de la production du film et de la réalisatrice qui n’avait pas voulu la retenir pour le casting, voulant une actrice inconnue. Elle campe une superbe et impressionnante Augustine au corps très « dix-neuvième siècle » mais avec cette volonté farouche et rebelle dans le regard qui l’installe dans une contemporanéité parfaite pour jouer ce personnage en proie à l’hystérie qui était comme la première manifestation féministe… une révolte toujours d’actualité.

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